Celui qu’on considère comme le facteur d’orgues emblématique du XIXe siècle, donc du romantisme dans l’esthétique de l’orgue, a incarné la figure de « l’homme qu’il fallait, au bon moment ». La Révolution française ayant mis à mal tout ce qui touchait de près ou de loin à la religion, la création d’orgues entre 1790 et 1830 a largement cessé en France, même si des instruments étaient éventuellement entretenus voire transférés (notamment des couvents désaffectés vers des paroisses) et relevés ou rénovés).

Aristide Cavaillé-Coll âgé

Le Concordat qui rétablissait un statut solide pour l’Église (1801), le travail de réformateurs musico-liturgiques comme Choron, La Fage ou Danjou, la prise de conscience du patrimoine historique, le renouveau religieux (Chateaubriand, Lacordaire, Dupanloup…), la création d’une classe d’orgue au Conservatoire (1819) sont parmi les facteurs qui ont favorisé l’éclosion progressive d’une culture organistique renouvelée en France dont les fruits vont se faire sentir surtout au deuxième tiers du siècle — c’est-à-dire exactement au moment où Aristide Cavaillé-Coll « monte » à Paris pour lancer crânement sa carrière internationale.

Seulement voilà, en ce moment-là le monde musical n’est plus le même qu’au moment des chefs-d’œuvre de l’école classique d’orgue. Non seulement Gossec, Rossini et Boieldieu sont passés par là, mais un Berlioz, un Chopin, un Liszt ont ouvert la voie vers de nouveaux mondes d’expression dans l’art des sons. Ainsi, le bel canto, le piano, l’orchestre symphonique bouleversent le cadre même de la création musicale. Le facteur d’orgues doit certes tenir compte de puissants courants de conservatisme liturgique et musical au sein de l’Église qui représente, encore, de loin sa principale source de moyens de vivre ; mais l’avenir sera à celui qui saura trouver le juste milieu entre l’immobilisme sécurisant et l’innovation débridée qui, à terme, mène à l’impasse, à l’outrance stérile ou à la marginalisation.

Aristide Cavaillé-Coll, jeune homme de pas encore 25 ans mais mû par le même feu sacré que ceux qui ont osé la « Fantastique », les scherzos, les Études à exécution transcendante, saura-t-il jouer ses cartes (et, au besoin, des coudes), faire valoir son génie, surmonter les affres de la gestion d’entreprise, rassembler les suffrages du monde musical, imposer sa vision, bref, se montrer à la hauteur d’un « second Grand Siècle » de l’Art français ?…